L'électricité à Kinshasa: de Léopoldville à nos jours
Une cabine électrique dans une rue de la commune de Ngaba
En chiffre
Avec une population d’un peu plus de 10 millions d’habitants et ses 9’965 km2 de superficie, la ville province de Kinshasa ne représente que 0.4% de la superficie de la RD Congo. Et pourtant, elle a absorbée à elle seule en 2014, près de 20% de l’électricité produite sur le territoire national. De par son statut de capitale administrative, Elle affiche un taux d’électrification largement supérieure (44,1%) à la moyenne nationale (11%).
Taux d'électrification par province en RD Congo
Au commencent
Lorsque l’explorateur H.M. Stanley débarque en 1877 dans le territoire de l’actuelle Kinshasa, il y trouve plusieurs villages dispersés Comme Ntambo, Ndolo, Kimbangu, Mbanza-Lemba, nshasa, etc. Les terres sont occupées majoritairement par les Tékés et les Humbus. Les villages situés aux abords du fleuve sont habités par les Tékés, originaire de l’autre rive du fleuve (Brazzaville) et réputés pour le commerce d’ivoire qu’ils échangent avec les Kongos et les Bobangis. Les villages à l’intérieur des terres sont peuplés par les Humbus, qui sont les propriétaires terriens. A l’époque, les maisons sont des cases dont les toitures sont construites en paille ou en chaume et dépourvues d’électricité.
Le développement de la cité
Stanley installe en 1882 un comptoir sur le Mt Nkonzo Ikulu actuel Mt-Ngaliema, qu’il baptisera d’abord Stanley-pool puis Mont-Léopold. Un autre comptoir Européen est également installé en 1902 dans le village de Nshasa. Les deux cités deviennent alors des carrefours d’échanges des biens de toutes sortes. Mais Ce n’est qu’avec la construction du chemin de fer Léopoldville-Matadi et du port (1890-1910) que Léopoldville et Nshasa connaissent un véritable essor. Le nombre d’européens dans Léopoldville croit et les usines s’installent les unes après les autres. Le décret royal de 1923 qui fait de Léopoldville la capitale du Congo belge, en lieu et place de Vivi (Boma), ne dévient effectif qu’en 1929.
Les acteurs privés au cœur de l'électrification
La distribution de l’électricité à Léopoldville est l’œuvre d’une société privée, la Comectrick (filiale de la Cominière), qui en 1925 met en service le réseau de distribution électrique de la ville. L’alimentation se fait grâce aux centrales thermiques utilisant des générateurs diesel pour la plupart. La plus grande centrale thermique de la Comectrick à cette époque possède quatre groupes diesel d’une puissance totale de 2.000 kW.
Une autre société privée, la Texaf (société des textiles Africains) constituée trois ans auparavant, inaugure le 28 juin 1928 à Léopoldville, en présence du roi Albert de Belgique, son usine textile. La Texaf jouera un rôle majeur dans l’électrification et la distribution de l’eau potable à Léopoldville. En effet, elle crée en 1930 avec le Crédit Anversois, la société des forces motrices de Sanga. Cette dernière est chargée de la construction de la centrale hydroélectrique de Sanga sur la rivière Inkisi (Bas-Congo), mise en service en 1932. Un contrat d’exploitation est signé entre les forces motrices de Sanga et la COMECTRICK pour alimenter Léopoldville qui compte près 40.000 habitants. L’électricité est transportée par une ligne haute tension de 66kV, longue de 80 Km. Parmi les clients desservis, il y a l’usine TEXAF, le port de Léopoldville, le chantier naval (CHANIC), divers clients industriels et commerciaux, etc. Les clients industriels sont alimentés avec une tension de 6600 volts et les particuliers en 380/220 volts. On dénombre une population de 32.000 personnes bénéficiant d’un raccordement au réseau électrique, reparties entre 2'000 européens et 30'000 indigènes. En 1936, la consommation électrique des clients industriels de Léopoldville s’élèvent à 3.700.000 kWh dont 2.000.000 de kWh absorbé par la seule usine Texaf et 350.000 kWh par la société de distribution d’eau. La ville compte en 1937, environ 163 lampes électriques qui servent à éclairer les rues principales.
La Comectrick vend également son électricité à Brazzaville, qui est reliée à Léopoldville grâce à une extension de la ligne Sanga-Léopoldville. La puissance nécessaire pour l’alimentation électrique de Brazzaville à la fin des années 1940 est d’environ 900 kW dont 600 kW proviennent de Sanga
Les pouvoirs publics s'en mêlent
Après la deuxième guerre mondiale, l’administration coloniale décide d’augmenter la production des biens ainsi que la productivité de la population indigène. Cette décision s’inscrit dans « le plan décennal pour le développement économique et social du Congo Belge (1949-1959)». Cette augmentation de la production implique forcement une augmentation de la consommation électrique. C’est dans ce contexte qu’est crée le 18 décembre 1950, les forces motrices du Bas-Congo. Cette dernière a pour mission d’exploiter les futures centrales hydrauliques prévues dans le Bas-Congo. Les travaux de construction de la centrale hydroélectrique de Zongo 1 (en amont de Sanga) démarrent en 1951 sur décision du ministère des colonies. L’objectif est de répondre à la demande croissante en électricité de Léopoldville et des localités du Bas-Congo comme Inkisi, Thysville (Mbanza-ngungu), Kasungulu et Lukala (cimenterie). La mise en service du premier groupe turbo-alternateur de ZONGO 1, d’une puissance brute de 13.000 kW, aura lieu le 25 Octobre 1955. Deux autres groupes de la même puissance suivront pour une puissance brute totale de 39.000 kW. L’électricité est transportée à Léopoldville grâce à une ligne HT de 70 kV, qui aboutit au poste de répartition de Gombe.
A l'indépendance
Léopoldville compte un peu plus de 400.000 habitants lorsque le Congo accède à l’indépendance. On note un léger ralentissement de l’activité économique suite aux incertitudes engendrées par le nouveau statut du pays. Ce ralentissement entraine une diminution de la consommation électrique des clients industriels qui passe de 101 millions de kWh en 1959 à 97 millions de kWh cette année là. Mais cette diminution ne sera que de courte durée puisque l’année suivante, en 1961, la consommation industrielle repart de plus belle pour atteindre 107 millions de kWh. La demande continue de croître et les installations électriques doivent souvent fournir le maximum de leur puissance lors des pics de consommation. C’est le cas de la centrale de Sanga (10.000 kW) qui montre des signes de fatigue et demande toujours plus d’entretien. La centrale de Zongo quant à elle, doit utiliser régulièrement son troisième groupe prévue comme réserve pour absorber les pics de consommation aux heures pointe. La Comectrick dispose au courant de l’année 1962, d’une puissance disponible de 35.000 kW sans tenir compte de la réserve. La société a du faire face à un pic de 39.800 kW, qui a nécessité l’utilisation du groupe 3 de la centrale de Zongo. Par sécurité, Léopoldville est reliée par une ligne HT avec la centrale hydroélectrique de Djoué au Congo-Brazzaville, lui permettant d’absorber les charges de pointe en cas de panne d’un ou plusieurs groupes. La Comectrick dispose également de la centrale thermique de Kalina qu’elle utilise seulement en cas de nécessité absolue. La société a vendu, en 1962, près de 156 millions de kWh d’électricité à ses clients de Léopoldville. Mais l’offre qui ne cesse d’augmenter demande à ce que l’on augmente la puissance disponible.
En 1963, les forces motrices du Bas-Congo procèdent à une augmentation de la puissance de la centrale de Zongo 1, en mettant en service les groupes 4 et 5 d’une puissance unitaire brute de 18.000 kW. La puissance totale brute de la centrale passe de 39.000 à 75.000 kW. On met également en service une deuxième ligne HT de 132 kV, qui achemine l’électricité jusqu’à Léopoldville, au poste de Makala. Les prévisions faites par la COMECTRICK montrent clairement la nécessité de construire d’autres installations électriques pour anticiper la demande qui croit de 7% par année. L’alternative la plus rentable à l’époque est la construction de la centrale de Zongo 2, en amont de Zongo 1, d’une puissance brute de 85.000 kW dont l’avant projet existe déjà.Le gouvernement signe tout de même en 1963, un accord avec la société Sicai pour étudier la rentabilité du projet Inga 1.
Le coup d'état et le projet Inga 1
Le coup d’état de 1965 orchestrée par l’armée voit l’arrivée au pouvoir de Mobutu. Le nouveau régime veut marquer le pays de son empreinte et Léopoldville est baptisé Kinshasa en 1966. Malgré plusieurs études indiquant clairement le manque de rentabilité du projet Inga 1 sans la présence d’industries lourdes énergivores, Mobutu décide de lancer le projet avec une puissance de 350.000 kW. Les travaux de construction débutent en 1968 et le ministère de l’énergie voit le jour en 1969. Le but du ministère est non seulement de dicter la politique énergétique mais aussi de contrôler de la production électrique. En Cette année 1969, la consommation brute d’électricité de la ville s’est élevée à 320.000.000 kWh.
Un vent de nationalisation souffle sur le pays et voit la dissolution, en 1970, de toutes les sociétés privées œuvrant dans l’électricité pour former une seule entité en main publique dénommée SNEL. Les installations électriques de ces sociétés deviennent, en 1974, propriété de la SNEL qui en assure désormais l’exploitation.
Le Congo devient Zaïre en 1971
Lors de la mise en service de la centrale hydroélectrique d’Inga1 le 24 novembre 1972, la consommation brute d’électricité de Kinshasa est de 520.000.000 de kWh pour une population dépassant à peine le million d’habitant. Seuls les groupes 1, 2 et 3 sont misent en service avec une ligne HT de 220 kV long de 262 km, qui achemine l’électricité à Kinshasa (poste de répartition de Kimwenza) via Kwilu. Les groupes 4,5 et 6 suivront deux ans plus tard avec l’inauguration de l’usine sidérurgique de Maluku. Cette dernière ne fonctionnera que cinq ans et ce à 10% de sa capacité. En 1982, est inaugurée la centrale hydroélectrique d’Inga 2, dotée d’une puissance de 1.424.000 kW.
Les coûts exorbitants d’Inga 1 et 2 vont accroître de manière significative la dette du pays. En plus, les erreurs de conception et la mauvaise gestion font que les deux centrales n’ont jamais fonctionné à leur pleine capacité depuis leur mise en service. Pour preuve, Inga 1 sera réhabilité dix ans seulement après sa mise en service et Inga 2, moins de dix ans après.
Depuis les années 1990
La chute du mur de Berlin a mis fin à la complaisance de l’Occident vis-à-vis du régime de Mobutu, qui jusque là était perçu comme un allié et rempart contre le communisme en Afrique. Les capitaux qui autrefois affluaient sans réel contrepartie deviennent de plus en plus rares. Le non paiement des salaires dans la fonction publique suite à la crise économique de la fin des années 1980 a eu comme conséquences une série de pillages (en 1991 et 1993). Kinshasa est durement touché par ces événements qui poussent certaines firmes étrangères à quitter définitivement le pays. La consommation HT/MT subit une baisse vertigineuse et voit ainsi la SNEL perdre ses plus gros et lucratifs clients que sont les industriels. Aujourd’hui, à Kinshasa, les clients industriels représentent seulement 10% de la consommation électrique contre 75% pour les clients domestiques. Si certains quartiers non planifiés n’ont pas accès à l’électricité, d’autres en revanche doivent faire face à des coupures intempestives ou des délestages. Les causes sont multiples: les branchements sauvages qui mettent à mal le réseau, le vol des câbles électriques, la rupture des lignes (vétusté), etc.
D’après les données 2014 de l’atlas des énergies renouvelables en RDC, Kinshasa compte près de 1.640.350 ménages avec une moyenne de 6,2 personnes par ménage. La consommation d’électricité en 2014 de la ville a été de 1.411.250.000 kWh pour une puissance disponible de 336.000 kW et une pointe évaluée à 410.000 kW. Si l’on tient compte de la consommation actuelle, il faudrait une puissance de 852.000 kW pour satisfaire la demande en électricité de toute la ville. En 1960, l’année de l’accession à l’indépendance du Congo, un kinois consommait un peu plus de 340 kWh d’électricité par année contre 140 kWh aujourd’hui. En moins de 60 ans, la consommation électrique de la ville à été divisé par deux. Seules les centrales d’Inga et Zongo alimentent actuellement Kinshasa en électricité. Quant à Sanga, elle n’est plus opérationnelle depuis la fin des années 1970.
Pour améliorer la desserte en électricité de Kinshasa, le gouvernement a lancé avec l’aide financière de la Chine, la construction de la centrale hydroélectrique de Zongo 2 (150.000 kW) dont les travaux sont exécutés par l’entreprise Chinoise Sinohydro. L’autre projet en cours est la réhabilitation des centrales d’Inga dont les travaux ont été estimés à 100 millions USD la Banque Mondiale